Arroyo claro,
fuente serena
¿quién te lava el pañuelo?
Cuatro morenas
Una lo lava,
otra lo tiende,
otra le tira rosas,
y otra claveles.
Au temps des cireurs de chaussure et des ânes pelés, les pauvres étaient si pauvres dans la ville d’Almeria qu’ils chassaient leurs enfants.
C’est ce qui arriva à Juan et à ses six frères. Leur mère, n’ayant plus un crouton à partager en sept, leur dit : « Votre chance est ailleurs. Partez. »
Ils partirent donc, loin du murmure des vagues, loin des berceuses d’enfance.
Champs craquelés, vallées sans fleuve, portes entrouvertes, ils survécurent de presque rien et parvinrent aux montagnes où chantent les sources.
Arroyo claro
Ruisseau d’argent
Fuente serena
Source paisible
Là, il y avait toujours quelques branches et leurs fruits qui dépassaient des murs, quelques noix, quelques mûres sur la route et parfois même, une main tendue. Mais pour les paysans des hauteurs, la vie aussi était rude et la progéniture nombreuse, personne ne pouvait prendre à sa charge sept enfants de plus. Alors ils allaient leur chemin, tous derrière et Juan devant, qui marchait le front haut et l’œil sur la houle bleue des cimes.
Et voilà qu’un soir, entre deux villages, ils passent devant un portail forgé d’arabesques. De l’autre côté, une allée bordée de cyprès et au bout, une maison haute. Le portail n’est pas fermé, ils le franchissent, avancent à petits pas sous les grands arbres. Pas de lumière aux fenêtres, un volet décroché. Ils montent le perron, cognent à la porte en bois qui s’ouvre à deux battants. Une averse de lumière leur tombe dessus. Leurs yeux s’ébrouent puis voient, dans une salle immense, un feu de bois ronflant, une table blanche, et dessus, des viandes luisantes, des boissons colorées et sept couverts. La faim ne pose pas de questions. Ils s’assoient et ils mangent, silencieusement. Bouchée après bouchée.
Quand leur ventre est rempli, leurs oreilles se débouchent, et ils entendent un murmure étouffé : « Plus de lumière, encore plus de lumière ! » C’est une voix lointaine, un souffle gémissant. Ils croient d’abord que c’est le vent, mais la plainte insiste. Alors Juan attrape une lampe à pétrole et, ses frères à sa suite par ordre de grandeur, se dirige vers cette voix qui vient d’en-haut. Ils montent l’escalier face à la cheminée, traversent un long couloir flanqué de portes, puis un nouvel escalier dont les marches s’arrêtent devant une porte étroite. Juan pile, ses frères trébuchent sur lui. Il tourne la poignée, lève haut sa lampe, les têtes des petits en éventail autour de lui. Dans la pièce envahie de livres, il y a un vieillard en bonnet de nuit, au visage aussi jaune que les pages sur lesquelles il se penche. Au-dessus de sa tête, dans un cadre ovale, un chat noir les fixe de ses yeux verts. « Plus de lumière, encore plus de lumière ! » répète l’ancien sans les voir. Alors Juan s’approche et tend sa lampe au-dessus du livre, et le vieux se met à tourner les pages, dans un sens, puis dans l’autre, de plus en plus vite, en murmurant : « Je ne vois pas, je ne vois pas… »
« Je peux essayer. » dit timidement le garçon qui sait à peine lire. Le vieillard alors le regarde, comme s’il découvrait sa présence. La stupéfaction, puis un vague sourire redessinent ses rides. Il fait signe à Juan, qui s’approche, regarde ces signes étranges, et qui les comprend, comme il comprend la faim, l'espoir, le poing fermé, la main tendue. Il commence à lire des choses feuillues, froissées, puis bute sur un signe. Alors l’ancien prend la relève : craquement de neige, roulement de pierres dans sa voix. Et peu à peu, le chant de l’un prolongeant l’autre, le temps, les murs s’abolissent. Autour d’eux, en eux, des nuits, des jours naissent et meurent, des jours, des nuits, comme une roue sur une pente.
Puis ils se taisent sur la dernière page où rougeoie un soleil. Les petits clignent des yeux.
Après un long silence, le vieil homme dit : « Voilà cent ans que je lis dans le noir. Cent ans que ma vieille nuit attend ta jeune lumière. Elles se sont trouvées dans la roue du Temps, merci à Lui. Je te laisse le Livre, la maison, et au fond de la cave, sept marmites remplies d’or. »
La lampe vacille, s’éteint, puis se rallume. Dans le cadre ovale, plus de chat, plus de vieux dans son fauteuil. Sur la table, le livre.
Ses pages sont blanches.
Ruisseau d’argent
Source paisible
Dis-moi, qui lave ton foulard ?
Quatre filles brunes.
L’une le lave,
L’autre l’étend,
L’une y lance des roses
et l’autre des œillets
Et sous mon foulard blanc
Brille une pièce d'or
Lancée par un gitan.
Vieux conte réinterprété très librement
Au temps des lotus blancs et bleus, il y avait un village aux maisons de terre crue ombragé d’une cime. On appelait ce lieu La Place de Mâat, et ses habitants les Serviteurs de Vérité. Les femmes y étaient souvent prêtresses, les hommes tous artisans, et pas n’importe lesquels : C’était les meilleurs d’Egypte, ceux qui bâtissaient et décoraient les tombes des Rois, des Reines, et aussi les leurs.
Carriers, maçons, peintres, sculpteurs, tous mettaient leur cœur à l’ouvrage et leur honneur dans leurs mains, tous exerçaient leur métier comme les prêtresses leur sacerdoce, mais parmi eux, il était des maîtres du savoir-faire. Ceux-là étaient inspirés par Meretseger, la Déesse-Serpent veillant depuis la Cime sur les vivants et sur les morts.
Or à cet instant du temps, un garçon marche dans la rue. Il est à cet âge où les joues se font duveteuses et rougissent d’un rien, mais son regard est plus âgé que lui. C’est Khâ, le fils du potier, bientôt potier lui-même. Il commence à différencier les argiles, plus ou moins denses, plus ou moins rouges, à savoir doser l’eau, la terre et la vitesse du tour. Il aide déjà son père, mais il a encore du temps pour se promener jusqu’aux lisières paisibles du village.
Ce matin-là, comme chaque jour, il revient de la citerne avec une cruche étrange. Bosselée, écaillée, son vernis n’est plus qu’un souvenir, et une longue fente la parcourt du col à la base. Pourtant, quotidiennement, Khâ remplit cette relique qui se vide goutte à goutte sur le sentier du retour. Il est au milieu du chemin quand une vieille femme assise sur une pierre l’arrête de son bâton. Elle est plus ridée qu’un cuir en plein soleil, mais son regard est clair comme la nuit sur le désert.
Poli, il la salue.
« Khâ, dit-elle – tiens, elle connaît son nom - toi qui es potier et fils de potier, n’as-tu pas une cruche en meilleur état ? »
Le garçon tourne et retourne la poterie dans ses mains, la contemple, la caresse, puis dit :
« Grand-mère, j’ai trouvé cette cruche sur une décharge, mêlée aux épluchures. Elle m’a appelé, elle voulait me dire quelque chose. Alors je l’ai écoutée. – il donne un petit coup de la jointure du doigt sur la poterie – Vous entendez ? Elle sonne grave. Son âge ? Au son et à la forme, je dirais soixante ans, à l’usure, quelques milliers de litres passés entre ses flancs. Cette ancêtre a vécu et servi plus que d’autres, et elle me dit comment.
- Tu sais voir et entendre, c’est bien. Mais pourquoi t’obstiner à la remplir puisqu’elle se vide en route ?
- Pour ça, dit Khâ en désignant une bordure du chemin.
La vieille baisse la tête vers ce côté : des fleurs simples mais inhabituelles colorent le sol de vert, de jaune, de rouge.
- Je la porte toujours sur mon bras droit, pour qu’elle s’égoutte, chaque jour, sur les graines invisibles apportées par le vent. Je trouve ça joli et la cruche est contente de servir encore.
Elle le salua d’un mouvement de menton, l’œil étincelant, il poursuivit sa route sans voir que derrière lui, il n’y avait plus de vieille. A sa place, un serpent houleux à tête de déesse filait vers la montagne. C’était Meretseger, l’Amie de ceux qui ont la voix juste et qui désormais, dans l’ombre, soufflerait sur ses mains, car plus que le vernis, elle aimait les fêlures par où passe la vie.
Khâ devint un artisan hors pair. Quand le temps fut venu, on plaça dans sa tombe une vieille cruche fêlée.
On oublia son nom.
Myriam, conte publié dans la revue Mirabilia
Dans un temps où les routes sont brodées de coquelicots et d’insectes, une demoiselle file la laine à sa fenêtre. Mais elle file du bout des fesses, du bout du pied, du bout des doigts.
Parce que ce qu’elle voudrait, elle, c’est danser, pas filer ! Danser le jour, danser la nuit, danser sa vie !
Mais c’est une jeune fille convenable, alors elle pédale et tire le fil.
File la laine, filent les jours, file pour ta robe de mariée, puis pour ton homme, pour tes enfants, toute ta vie tu
fileras, et derrière toi comme une traîne, un fil de laine, traîne de jours, traîne d'argent de l'escargot sous sa coquille.
Le rouet, tikitoc tiktak, tikitoc tiktak , le rouet la berce.
A la fenêtre, un arbre danse, tikitoc tictac, au rythme du rouet, tikitoc, tictac, fleurs de pommiers, de cerisiers tournent et virent dans le vent. Mais soudain, dans la pluie rose, un éclat rouge et noir.
Un papillon.
Elle le regarde, il est si beau, elle le lui dit : « Que tu es beau ! Danse, danse pour moi qui ne peux pas danser. »
Il tourbillonne en noir et rouge, s’approche, se pose sur le rebord de la fenêtre. Il replie ses ailes, le voilà tout gris, les rouvre, flamme rouge et noire.
Coquet, il joue de son éventail.
La demoiselle en lâche son rouet, s’approche et voit ses grands yeux noirs de papillon, noirs comme les nuits d’été.
« Quelle chance tu as, tu danses ta vie !
- Viens danser avec moi, répond le papillon en haussant une aile.
- C’est impossible ! Un papillon qui parle, c’est impossible, et une fileuse qui vole, c’est plus qu’impossible.
- Arrête de penser comme une fileuse qui se défile et viens !
Il a de l’autorité, sous ses airs fleuris. Alors elle soulève sa robe, monte sur le bord de la fenêtre et voit le papillon grandir, grandir… mais non, c’est elle qui rapetisse. Ses omoplates chauffent, des ailes lui poussent, des ailes bleues bordées de brun.
« Saute ! » Dit le papillon.
Elle saute, le vent la cueille, et ses ailes battent, battent comme son cœur, vite, vite ! Le papillon la rejoint, l’effleure de l’aile, elle s’échappe, il la poursuit, tourbillon rouge-noir-bleu dans le ciel, baisers papillon à chaque coin de fleur, les nuages en rosissent.
Quand épuisés ils se posent sur un bord de pétale, elle dit : « Je ne veux plus jamais, jamais être escargot sous sa maison, papillon libre, voilà ce que je veux être, et danser avec toi ! »
Le papillon soupire : « Sache que si tu choisis de papillonner, dans quelques heures tu seras morte. Comme moi.
- Tant pis ! Je préfère mourir vite avec toi que vivre lentement sans toi »
Le papillon réfléchit puis dit : « Entre le papillon et l’escargot, il y aurait bien une solution.
- Laquelle ?
- Tu verras.
Tout à coup, brouillard, la demoiselle ne voit plus rien. Elle entend juste : Tikitok, tiktak, tikitoc, file la laine, filent tes jours… Elle a rêvé, c’est tout. Escargot sous sa coquille, c’est son destin de fille.
Tikitok, Toc toc ! On frappe à la porte. Elle ouvre, son cœur perd dix tiktak.
Devant elle, chemise rouge, gilet noir, des yeux comme les nuits d’été, un gitan. Derrière lui, des roulottes en couleurs, des chevaux, des jupons, des moustaches.
Le garçon lui tend la main. Elle le suit.
Escargot dans sa roulotte le jour, papillon dansant le soir autour du feu, elle a voyagé sur les routes du monde et plus jamais filé la laine.
Myriam Rubis