Chacun chacune a une ombre qui danse. Chacun chacune a sa musique. Mais qui vit à son rythme ?
C’est à un bal d’été sur la côté espagnole que Pétula et Rodrigo ne se sont pas trouvés.
Sous les paillottes en bord de mer, désirs, musique en boîte et bruit des vagues se mêlaient en se contredisant. C’était parfaitement assourdissant et propice à la solitude, surtout pour ceux dont la beauté était alternative. Ceux-là faisaient semblant d’y croire en s’enfumant à petites bouffées, assis sur des sièges en rotin imprimant à la fesse une douloureuse conscience d’elle-même.
Pétula et Rodrigo n’étaient ni tout-à-fait alternatifs ni tout-à-fait dans le moule à fantasmes. Ils slalomaient entre les genres, variables selon l’angle et l’éclairage, bref tous les espoirs et les désespoirs leur étaient permis. Comme les autres, ils cherchaient dans l’ombre une lumière artificielle, un nouveau rythme cardiaque, enfin quelque chose qui complète leur été. Quelque chose, pas quelqu’un. Pas l’Autre. Pas Lui, pas Elle. Pas dans une boîte de nuit sur un air de « Vamos a la playa ». Surtout pas.
Alors bien sûr, dès qu’ils se sont vus, ça leur a fait un choc. Mais pas du tout agréable, non, déplacé, indécent. Ca n’avait rien à faire là, cette impression de déchirement et en même temps de raccommodage, de force et de faiblesse, de plus-rien-ne-sera--comme-avant et de je-me-perds-et-me-trouve-en-même-temps. Un peu comme une musique de Bach sur un film porno, comme une prière mystique dans un supermarché, ou le bruit des vagues dans une boîte de nuit… C’était une erreur, l’alcool peut-être. Sûrement.
Très gênés, ils se sont détournés l’un de l’autre, ont cherché d’autres regards, d’autres corps. Pétula a fini par embrasser goulûment José qu’elle n’aimait pas, Rodrigo a dragué sans entrain une anglaise en fumant un joint. Ils se sont tant et si bien étourdis, qu’ils se sont crus sauvés l’un de l’autre et d’eux-mêmes. Et se sont oubliés.
Ils ne savaient pas, tandis qu’ils s’oubliaient, ce qui se jouait sous les pieds des danseurs. Leurs ombres, invisibles sous les boules à facettes, leurs ombres s’étaient rejointes. Et elles dansaient, enlacées, emmêlées, sur une musique qui n’avait rien à voir avec celle qui braillait. Elles dansaient sur leur double musique qui n’en faisait plus qu’une, parfaitement accordée au rythme de leurs cœurs.
Au petit matin, quand sur la piste vide la femme de ménage a commencé à nettoyer, elle a cru voir deux ombres qui dansaient sur la musique des vagues. Elle a d’abord mis ça sur le compte de la fatigue. Mais le matin suivant, elle les a revus. Puis à nouveau, chaque matin, pendant des années sans que ça la trouble plus que ça – elle était gitane. Et lorsque les paillottes ont été démantelées, il est arrivé que des égarés du point du jour croient voir, eux aussi, deux ombres qui dansaient sur le sable.
A la fin de la soirée, Pétula et Rodrigo étaient partis chacun de son côté, l’une avec José, l’autre avec son anglaise et la vague impression d’avoir oublié quelque chose. Ils ont mené leur vie normale faite de rencontres et de désencontres, avec un manque normal au creux du ventre. Puis ils ont vieilli.
Et le même jour, au même moment, ils se sont dit qu’avant de mourir, ils aimeraient revoir le pays de leurs jeunes étés.
Le même soir, au même moment, ils se sont retrouvés sur la plage où leurs ombres dansaient. C’était le bon moment. C’était Le bon endroit. Ils se sont rapprochés,
ils se sont enlacés et lentement se sont mis à danser.
Leurs ombres les ont rejoints, les vagues ont fredonné et la nuit est tombée mêlant le haut, le bas, le sable et les danseurs.
Le lendemain, on a retrouvé leurs vieux corps. Enlacés. Souriants.
Myriam Rubis
C’est chaque fois pareil. D’abord, il y a cette peur, parce que c’est pas sérieux, c’est pas dans l’agenda et il faut prendre l’avion, et puis on doit se les geler en novembre, non ? Mais j’y vais, tant pis. Je finis toujours par y aller dans ma sierra encore un peu nevada. Et je meurs pas dans l’avion. Et je fais le stop rituel sur la côte qui tourisme à 27°, en me re-demandant, chaque fois, pourquoi je vais me les geler juste à une heure du chaud. Mais je traîne pas trop pour arriver tôt, parce que de nuit, je vois pas les araignées, pas le bois pour faire le feu, est-ce que j’ai la frontale ? Je pars à la bourre, je roule entre le bleu et l’ocre de la côte malagueña. Je me dis : c’est sec quand même, et puis ces constructions, et la mer prostituée, oui d’accord elle est belle, mais je connais ses dessous, ses maladies, ses morts... oui mais son bleu lamé d'argent, son col d'hermine, mais à gauche la montagne gitane dans ses jupons sales, ses jupons de pauvre qui a pas les moyens de se payer du vert. Mais mes souvenirs entre les plis des vagues, mes escalades d’autrefois accrochée aux touffes jaunes. J’y peux rien ; contre ce bleu, cet ocre, ce soleil qui descend et fait son show d’automne, j’y peux rien, et plus je roule, plus je monte vers les Alpujarras, moins je peux résister. A ce cuivre, ce rose, cet or ensanglanté qui rhabille les montagnes, à ces peupliers jaunes dégoulinant de miel, à cette lumière qui coule, caresse, explose, cette ogresse de lumière qui lèche son enfant rouge, lèche mes peurs, et peu à peu, élève un palais d’ambre et de grenat liquide et me dit : c’est chez toi, et je sais que c’est vrai, que je le veuille ou non, je suis de cette lumière comme on est d’un pays, baptisée par elle dans l’enfance. Marquée au cœur, contre mon gré.
Myriam Rubis - Cortijo mi corazon
Comme tous les murs, j’ai des oreilles. Et de la mémoire. La mienne s’est écaillée longtemps sur le sol rouge.
Longtemps, j’ai mur-muré mon histoire aux geckos, au lierre, aux lys sauvages. Cinq ans, où je n’entendais qu’eux, où eux seuls m’entendaient. Plus précisément depuis que mon père bâtisseur avait été réduit en cendres et saupoudré au pied des arbres. Tout le monde avait pensé que je le suivrais bientôt, j’étais si curieusement bâti, mi-terre, mi-pierraille, et puis sans fondations, adossé du bout des poutres à une roche. « C’est pas un mur, c’est de la bouillie ! » disait Eb, le copain de vieux père. Et le fait est que si je tenais, c’était en bonne partie par la salive des araignées et les crottes d’insectes, le vent qui me poussait du bon côté et surtout, surtout, par le rêve. C’est comme ça que le vieux m’avait construit, avec ses rêves bien plus qu’avec ses mains. Il m’avait rêvé coquille d’escargot, d’où ma rondeur. Il m’avait rêvé caverne, d’où mes bosses et mes creux noircis par les bougies. Un ventre, une caisse de résonance, voilà ce que j’étais. Trente ans j’ai accueilli ses fugues, celles de Bach à la guitare comme ses échappées, car il a mis longtemps à comprendre que son meilleur ailleurs, c’était moi ; j’ai accueilli ses chansons, ses soupirs, ses nuits. Toutes ses nuits, jusqu’aux dernières.
Après, après la dernière nuit, il n’y a plus eu que le silence. Un silence fait de vent, de craquements d’arbres, de claquements. Un silence de lettres au fond du tiroir. Les souvenirs colmataient mes brèches avec le salpêtre ; les ronces, le lierre, les bambous me barricadaient. Par mes fenêtres en vitres de voiture, je ne voyais plus que du vert. Je me sentais devenir arbre.
C’est à cette époque-là qu’on a commencé à nous appeler, moi et mon toit d’herbe : « Le Bel au Bois Dormant ». Manquait plus que la princesse, mais elle ne semblait pas pressée de venir poser sur ma barbe d’épines le baiser salvateur.
J’aurais pu renoncer, me laisser couler dans la terre rouge et dans les troncs, mais le rêve du vieux s’obstinait à me maintenir debout. Son rêve de relève.
Elle a mis cinq ans à se décider. Cinq ans à s’aventurer au pays des sources oubliées. La première nuit, elle a dormi à l’hôtel du village. Les jours suivants, elle m’a tourné autour, à bonne distance du dragon vert qui crachait ses ronces jusque sur le sentier. Et puis elle a osé. Le râteau, le sécateur, les mille-pattes sous les feuilles, c’était pas vraiment son truc de citadine, mais elle s’y est mise. Et à tout prendre, l’extérieur restait moins inquiétant que le vide dans mon ventre. Même quand j’ai été rasé de frais, elle a continué à m’éviter, me préférant les murs de béton de la maison carrée, juste à côté. Quand enfin elle s’est décidée à pousser la porte qui frottait le sol, je n’ai pas pu éviter de lui envoyer au nez ma poussière de vieux rêves. Elle a éternué quelques jurons en guise de bonjour.
Du temps. Il lui a fallu du temps. Et des chiffons, des racloirs, des pinceaux pour me rafraîchir. Du temps pour poser d’abord ses mains, puis ses oreilles sur moi. Pour qu’elle m’écoute. Je lui ai raconté ce qu’elle ne savait pas, sur moi et sur le vieux, sur la montagne à tête d’éléphant, noire le jour, rouge le soir, sur la source, sur Bach. Et sur ces lettres au fond du tiroir. Elle a fini par oser dormir sous mon abri, dans ma mémoire dépoussiérée. Et peu à peu, poser les notes de sa propre fugue sur ma vieille partition.
C’est vrai qu’elle m’a sauvé, mais moi aussi, je l’ai sauvée de la rancune et de la peur. De la ville et de ses bruits. Et si nous ne vivons pas ensemble, nous avons appris à nous attendre. A nous entendre, même de loin.
Aujourd’hui, c’est par ses rêves que je tiens.
Myriam Rubis
L'actualité le confirme : le centre du monde n'est pas la gare de Perpignan mais le cul des femmes. C’est pas nouveau, vous me direz : depuis des millénaires, des religions, des systèmes, des empires se bâtissent et s'écroulent sur lui.
C'est lourd.
Glorieux mais lourd de sentir autour de son séant virer tant de points de vue, de loupes, de mains, de doigts. Car tout le monde s’y penche, sur ce lieu où mon dos perd son nom avec tellement de grâce, et chacun, du premier autodidacte venu au plus éminent spécialiste, y va de sa certitude : pour les uns, il faudrait l’enchâsser comme une sainte relique à l’abri de la poussière ; pour d'autres, le sortir à tous vents et y piquer des fleurs, des crucifix, des lunes ; le poser sur un guéridon ou le fourrer dans un cache-pot ; le sculpter sur les places, le dorer à la feuille, ou alors au contraire le mettre au pilori pour désigner l'ennemie....
Bref, dans un cas comme dans l’autre, c’est de plus en plus clair, un gigantesque cul éclipse le soleil et remplit l’horizon. Est-ce le crépuscule, est-ce un nouveau matin ? On ne sait pas, on ne sait plus, on tremble, on s’interroge, craignant l’apocalypse, espérant un regain, déroutés et hagards sous cette lune immense. L'imberbe se détourne, le barbu se prosterne, le chat médite... Lorsque soudain, sulfureux et tonnant, un souffle de trompette impose le silence. Qu’est-ce donc et d’où vient-ce ? De Naples ou Jéricho ? Que nenni ! C’est du cul qu’elle émane ! Du cul qui n’en peut plus, du cul qui se révolte, s’agite, se libère et pète ainsi au nez des peuples, des nations, des siècles qui l’emmerdent depuis la nuit des temps !
Myriam Rubis
La vie d’Emma, c’est un camaïeu de gris, nuancé comme un toit en zinc sous la pluie d’automne : gris bleu, gris argent, gris rouille… pas vilain, mais gris.
Pourtant, elle fait partie des rares usagers de la ligne 9 à sourire béatement, soir et matin, le front collé à la vitre. Parce que son brouillard est traversé d’un rayon de lumière, une fine colonne qui la tient debout. Parce que deux fois par jour, Emma la grise rencontre le plus bel homme du monde.
Ça fait quatre ans qu’un coup de foudre a explosé les couloirs de sa vie. Mais pas à première vue. A première ouïe. Dès qu’elle a entendu sa voix, elle a su qu’avant, elle était sourde. Avant, rien ne vibrait.
Guitare, cuivres, graviers, il y a tout ça dans sa voix. Et bien plus. C’est une voix de nuit d’été, de vague brisée, de bras nus. Une voix de rires mêlés de bruits d’assiette et d’insectes sous la lampe.
L’entendre, c’était faire tous les voyages.
Alors deux fois par jour, le front appuyé contre la vitre, les yeux mi-clos, elle se laisse transporter.
Par la voix enregistrée de la ligne 9 qui égrène les stations : « République, Oberkampf, Saint-Ambroise… » et puis sa préférée : « Voltaire », à cause du vol, de l’air et de la terre. C’est là qu’elle descend chaque matin, et chaque matin, elle marque une pause sur le quai, hésite entre les deux sorties, et invariablement opte pour la moins logique, parce que la vue est plus jolie et le chemin plus long.
Ce jour-là, un jour semblable aux autres, à la fois gris et gai, elle descend sur le quai, hésite, choisit, arrive devant l’escalier, lève un pied, quand derrière elle : « Mademoiselle, votre écharpe ! »
1-2-3 soleil.
Son corps se fige, ses tympans fibrillent.
C’est la voix de la ligne 9.
Pendant une seconde, tous les possibles, tous les karmas défilent dans sa tête.
Pendant une seconde, elle fuit, retrouve la lumière, travaille, rêve, se marie peut-être, vieillit et meurt.
Pendant une seconde, elle se retourne, il est beau, elle ne lui plaît pas, les couloirs se reforment, elle survit, se marie peut-être, vieillit et meurt.
Pendant une seconde, elle hésite, vieillit et meurt sur le quai.
Elle fait un pas en avant.
Derrière elle, un bruit de chute, puis un « merde ! » vibrant de voix de ligne 9. Elle se retourne. « Je me suis pris les pieds dans votre écharpe ! »
Les voix ne mentent pas. Pas sur l’essentiel.
Elle l’a aidé à se relever, il s’est appuyé sur elle. Elle n’avait pas prévu qu’il aurait besoin d’elle.
Ils ont échangé des banalités sur la longueur des écharpes et les baumes pour foulure, hésité entre la sortie 1 et la sortie 2, opté pour la moins logique. Au café du coin, il lui a raconté le casting des voix RATP, elle s’est demandé dans combien de temps elle lui raconterait tout.
Trois mois ? Dix ans ?
Myriam Rubis
Avant d’aborder cette branche du droit trop souvent négligée, il convient de citer les faits, rien que les fesses, et de se poser cette question fondamentale : Qu’est-ce que « la » fesse ?
Tout d’abord, une évidence. Elle est partout, on ne voit qu’elle et tous ses avatars : Vraie fesse, fausse fesse, vraie fausse fesse, fesse honteuse ou en gloire, murale ou sur papier glacé, fesse virtuelle, fesse-mathieu, fesse-book. Elle nous suit, nous soutient, nous retient, ou alors nous précède, surtout en jean moulant dans l’escalier, nous guide, nous aguiche, nous étoile, nous étiole, bref nous hante.
Ensuite, une particularité que je n’hésiterai pas à qualifier de morpho-spirituelle. Car on le sait, ce qui différencie l’homme de la bête, c’est la fesse. En effet, les animaux ne disposent, dans le meilleur des cas, que de postérieurs assujettis à leurs fonctions purement utilitaires : éliminer, se reproduire, s’asseoir. Rien à voir avec la fesse humaine qui, tout au contraire : élimine, se reproduit, s’assoit. La différence est fondamentale et saute aux yeux comme un pénis esseulé dans la main de son propriétaire. Je m’explique : Contrairement à la bête qui élimine des croquettes, de l’herbe ou des souris crues, l’homme défèque des cèpes à la crème, des sushis et des profiteroles.
Deuxio, l’homme se reproduit, oui, mais pas seulement pour le plaisir. Pour le sexe aussi. Et c’est souvent très compliqué chez l’homme et carrément virtuose chez la femme qui est plus douée. En effet, on n’a jamais vu des caniches faire le tripode à rebours, la conversion avale, la tondeuse pékinoise ou la brouette accro-branche. C’est bien la preuve.
Enfin, l’homme s’assoit mais ça n’a rien à voir, car il évite soigneusement l’herbe humide, le fil électrique et les nénuphars. Tout au contraire, il pose son bien-séant sur un élément généralement surélevé appelé chaise ou canapé, et face à : Un ordinateur, un plat de frites, sa femme, un match de foot sur TF1 avec un enculé d’arbitre et les pédés de l’OM. Dans ce dernier cas, si son équipe marque un but, il laisse éclater sa joie en tressautant sur son siège au risque de se blesser. Dans l’avant-dernier, si sa femme lui annonce son départ, il laisse éclater sa joie/douleur [1] en tressautant des fesses au risque de se blesser. Dans l’avant-avant-dernier cas, si les frites lui brûlent le palais, il laisse éclater sa douleur etc au risque d’etc. Enfin, dans le premier cas, si l’ordi bugue, il laisse éclater sa fureur etc.
CQFD : La fesse de l’homme est, sans l’ombre d’un poil pubien, le siège de ses émotions les plus subtiles, les plus intimes, les plus élevées. La fesse de l’homme est sensible. C’est là sa force et sa faiblesse.
Or plus l’Homme (le vrai, avec une cravate) travaille plus pour gagner plus, plus il s’assoit plus : à son bureau, au Ritz, au Martinez et dans les loges VIP du stade de France. Il s’ensuit qu’il est de plus en plus souvent amené à se taper le derrière sur son siège, de joie ou de douleur. Donc sa fesse se fragilise plus vite que la faune de la méditerranée, mais Yann-Arthus-Bertrand, malgré sa hauteur de vues sur son larfeuille, n’a pas trouvé la bonne altitude pour la photographier. C’est donc à nous, fessologues avertis, créateurs d’emplois et bienfaiteurs anonymes de la fesse, de le clamer haut et fort : le siège social de l’homo sedens court un grave danger !
Alors je vous le demande. Supporterons-nous sans rien faire qu’elle succombe au furoncle et à l’escarre ? Non ! Mille fois non ! Nous sauverons la fesse, en droit, en vers et contre tout, ne la lâcherons sous aucun prétexte, la marquerons à la culotte ! Car elle le mérite, après tout ce qu’elle a fait pour nous ! Elle mérite le respect, la tendresse, la caresse. Elle mérite la housse ! Oui Mesdames, oui Messieurs, la housse de siège ! La housse la plus douce, la housse en mousse, la housse maousse, la housse « Classe Affaire », sérigraphiée, customisée, taillée à la mesure de chaque fesse, pour mieux l’envelopper, l’élever, la sublimer, car « A fesse unique, housse unique ! », tel est notre slogan, notre hymne à la fesse, ô fesse, notre patrie, qu’un 100% pur polymère abreuve ton sillon ! »
MYRIAM RUBIS
Aujourd’hui,
J’ai pris un train bleu direction nulle part,
Mon oncle a pleuré,
Ma tasse est tombée,
J’ai eu des idées,
J’ai changé d’avis.
Sur le quai du retour,
Il y avait un chien
Avec des yeux d’ange,
qui gardait une femme
Avec des yeux de chien.
J’ai eu des idées
Pour changer le monde,
mais c'était trop tard.
il s'était enfui
dans les yeux du chien.
Il y eut le temps des plus grandes peurs et de la plus grande illusion. Le temps de la mort niée et du culte à l'éternel plastique.
Plus personne n’osait sortir et risquer une rencontre avec l’éphémère de chair. La solitude devint la norme et les cas de folie se multiplièrent.
Pour préserver l’équilibre social, des solutions technotropes furent trouvées. Chacun pourrait, sans sortir de chez lui, se connecter à d’autres solitudes nettoyées de tous miasmes, poils,
odeurs, sueurs et autres manifestations organiques. Le mot, exempt de son encre – fluide susceptible de débordements et sinuosités inconvenantes - serait placé sous la haute surveillance des
polices du caractère afin qu’il reste strictement mesuré. L’écran hygiaverbique ferait le reste.
Mais une erreur d’appréciation avait été commise : celle de prendre le mot à la lettre et non à l’esprit. Celle de ne plus croire à l’esprit. Or l’esprit du mot n’est que désir. Contrarié, il se
fit plus patient, plus habile.
Mais il souffrit. Jamais il n’avait parcouru de chemin aussi froid sous une lumière si grise, il fallut qu’il s’adapte à la lune glacée des ordinateurs. Bien sûr le rêve qui fait partie du mot
prit sur l’écran d’étranges proportions, et au malheur d’être seul en succéda un bien plus grand : l’illusion de ne plus l’être. Les désirs frileusement échangés ne se croisaient jamais. On se
manquait toujours en croyant se trouver. Mais le manque de l’autre, quoique masqué, était bien là, diffus et augmenté par l’avant-goût de quelque chose que les mots, même sous plastique,
transportent toujours. Chacun sentait ouverte en lui une brèche, un vide qu’il ne savait nommer.
Or, c’est dans l’interstice de ce manque que se produisit le miracle. Les mots peu à peu y reprirent des forces. Dans leur ventre une flamme renaissait qui se fit soif, espoir, larmes. Des yeux
usés des internautes finirent par tomber des graines de poésie et des graines naquirent des fleurs étoilées. Enivrés par leurs émanations, certains les sniffèrent à l’excès, au point de tomber
dans la faille et de s’y perdre. Mais d’autres, simplement éveillés par ce parfum qui leur en rappelait d’autres perdus dans leur mémoire, se mirent à rêver d’autre chose. A rêver d’un passage
menant vers l’oublié.
Ils cherchèrent le gué menant à l’autre rive. C’était le gué du silence qui traversait l’écran.
Ceux qui eurent le courage de le passer, sans un mot, sans un clic et sans se retourner, émigrèrent vers la rive du vivant. Ils s’y trouvèrent d’abord perdus, car dans ce pays, on parlait une
langue qu’ils ne connaissaient plus. Il leur fallut réapprendre le langage du corps. Il leur fallut réapprendre leurs yeux, réapprendre leurs pieds, leurs mains, leur bouche. Et ne pas
l’apprendre seul mais avec d’autres mouvants, éphémères, imparfaits.
Ils se firent conteurs, danseurs, ou simplement vivants.
Myriam Rubis
Je dors.
Je dors et mon sommeil est rond.
Mon sommeil est un œuf tapissé en dedans d’une peau bleu printemps.
J’attends.
Repliée en fœtus, je grossis lentement.
Sous un ventre immense, je me nourris de rêve et je remplis mon œuf. Au chaud.
C’est un virus qui me couve. Un virus d’espoir, de lendemain qui chantera autrement, et du fond de ma coquille, je sais ce virus contagieux. Je sais tous ces œufs, partout, couvés par le même ventre d’espoir.
J’attends et je grossis, et sens autour de moi, de plus en plus serrée, cette peau bleu printemps.
Le temps est proche, très proche, où nous briserons nos coquilles de verre, nos coquilles de rêve. Nos becs déjà s’aiguisent, prêts à briser nos habitudes, prêts pour le chant futur. De notre immobilité naissent des promesses d’ailes, et de nos vies antérieures, une certitude : rien n’adviendra, ni chant, ni vol, sans une arme nouvelle :
La délicatesse.
Car le monde dans lequel nous renaîtrons sera fragile, bien plus que nos coquilles, et son rêve plus friable que le nôtre.
Il nous faudra apprendre. A marcher, à voler, du bout des pattes, du bout des ailes. Apprendre à épurer nos gestes et ce qui sort de notre bec, apprendre à désapprendre le bruit et les secousses.
Dans notre peau nouvelle, notre peau bleu printemps, lentement, délicatement, nous marcherons sur le vieux monde. Comme sur un œuf.
Myriam Rubis
Entre " écouter " et " entendre ", il y a un horizon de différence. Dans le premier cas, on visse sur sa tête des oreilles fabriquées, un tamis social. Dans le second, on accepte d'avoir des
trous dans le crâne, par où des choses tout à fait inattendues peuvent tomber, comme des cailloux lancés dans une eau lisse.
Se dévisser les oreilles. On devrait faire ça plus souvent pour mieux vibrer.
En ces temps troublés, on a par moments de belles révélations, on pense à ceux qu’on négligeait, on découvre étonnés qu’Untel, si on le pique, saigne aussi rouge que nous. Moi tout à coup c’est vers les palucheurs de rue que mes pensées se tournent. Vous imaginez ??? Le tripoteur de l’ombre, errant dans les rues vides, vides comme ses mains, triste, perdu, quand soudain, ô Graal ! Une fesse égarée de joggeuse à moins d’un km de chez elle - légale donc- lui redonne l’espoir, il frémit, mais voilà, de deux choses lune, soit c’est un vieil harceleur à un doigt arthritique de la retraite, qui ne peut plus courir ni même bien distinguer la courbe convoitée, soit il est jeune, mais alors imaginez : il sort son gel hydroalcoolique (je vous parle d’un palucheur conscient, évidemment), enfile un gant chirurgical, pendant ce temps, la fesse le distancie, il tente malgré tout quelques foulées, et si jamais il la rattrape, il réalise alors que son bras fait moins d’un mètre de distanciation sociale, il hésite, elle s’envole, et le voilà tout seul, des larmes dans les yeux, la joggeuse se retourne et peut-être, soupire... Voilà, une détresse sociale de plus, mais ça, les médias n’en parlent pas.
Myriam
Ce matin, choc des mots et fuite de petit poids à la rubrique « Faits dits verts » du quotidien Maux roses :
« ELLE DIT ‘FUCK’ A SES ÉLÈVES, MAJEUR BIEN TENDU, ET S’ENVOLE EN RIANT PAR LA FENÊTRE EN ÉCLATS. »
C’était lundi dernier, en ce mois de Marie, il faisait 20° et un vent force 6 au-dessus du collège. Alors au décollage, elle a bien assuré. Comme un seule môme, ses élèves se sont rués vers la fenêtre pour la regarder partir, et pas seulement parce qu’elle était en jupe. D’ailleurs, ses détails se perdaient déjà, elle s’était trop élevée. A une certaine hauteur, pour pas les perdre de vue, elle s’est stabilisée puis a fait quelques figures, bras d’honneur aériens ponctués de sa langue rose en manière d’au-revoir. Ses élèves enthousiastes lui ont rendu son salut pour la première fois et se sont écriés : « Ziva la pute trop forte ! » à capuches rabattues. Il y avait du respect dans ces mots, elle ne s’y est pas trompée et, balayant d’un revers de tendresse ses penchants syntaxiques, elle a hurlé : « Je vous kiffe tous trop mortel ! » en moulinant des bras, des doigts, des pieds. A ces mots, leur voix s’est étranglée, leurs amicales insultes ont perdu leur élan, et certaines finesses lui ont alors échappé. Elle a soupiré, puis médité, regard tourné côté soleil.
Ca faisait quinze ans qu’elle les aimait envers et contre tout, surtout contre eux, parfois contre elle, façon tuteur. Quinze ans qu’elle dessinait au tableau noir de leur misère des petites portes, des fenêtres, des puits, pour qu’enfin ils s’échappent de leur prison de béton, d’ennui et d’impuissance. Jour après jour, année après année, elle avait tracé à la craie de sa foi, lettres penchées osant le plein d’amour et le délié d’entraves, le mot liberté entre leurs graffitis, jamais par-dessus. Lorsqu’une main, une tête, s’aventurait par-delà ses ouvertures, elle s’élevait imperceptiblement au-dessus de l’estrade pour abolir toute lourdeur et favoriser l’envol. Et lorsque l’un d’entre eux se penchait au-dessus d’un puits, coup de pied au cul discret, elle le faisait basculer puis refermait le couvercle. Ni vu, ni connu, un de sauvé, elle entrait en lévitation mais les gosses n’y voyaient que du shite.
Et puis un jour, un homme gris est entré dans sa classe. Il s’est assis au fond, près du radiateur parce qu’il était frileux et il a pris des notes, lettres droites, trait-cardiogramme plat, et il a regardé, et il a écouté, comme un bon élève, le délicieux écho de ses propres certitudes. A la fin du cours il s’est levé, plus vertical que ses I, et lui a dit : « Madame, vous êtes dépassée », puis avec une éponge, il a tout effacé, les portes, les fenêtres, les puits et les lucarnes.
C’est ce jour-là qu’elle s’est envolée.
C’est ce jour-là aussi que ses élèves ont disparu.
Sur les lieux du crime, on a seulement retrouvé, peints partout sur les murs, des portes, des fenêtres aux contours gondolés, et tous les graffitis, tous les tags du collège s’enfuyant au travers.
Myriam
On m’a dit
Dans la vie
Faut choisir son camp
Son éthique, son cantique
Alors j’ai choisi
choisi le camp des cons
Des cons comme la lune
dans sa farine d’argent
si joliment roulée
Cons comme la nuit
Percée de petits trous
Pour que le jour y passe
Cons comme le jour
Qui rime avec toujours
Une rime con comme ses pieds,
Comme un vers à cloche-pieds
Comme une cloche
Comme un puits
Un seau qui fuit
Un balai à poussières
Un tamis à lumières
Un réverbère
Très fier
D’être pris pour la lune
Par un passant bourré
cramé halluciné
Qui soulève en passant son rêve sur sa tête.
Et le passant c’est moi
Qui suis du camp des cons
Des uniques Ducon
Tous avec exception
En milliers d'exemplaires
Du camp des
cons dansés
cons cernés
Du camp des conteurs
Cons comme c’est pas permis
Cons comme c'est interdit
Sinon, ce serait pas drôle.
On connaît l'histoire de Nasreddine qui cherchait ses clefs sous un réverbère, même s'il savait que ses clefs étaient ailleurs, parce qu'il se sentait mieux dans le rond de lumière tout chaud, parce qu'il avait peur du noir. Il manque la suite de l'histoire. La voilà : Nasreddine a fini par s'ennuyer à tourner en rond et user inutilement ses babouches. Alors il a respiré un grand coup, et... Il a plongé dans le noir, le vide, le froid. Il a accepté de passer par là parce qu'il savait que c'était sa seule chance de trouver la clef de sa maison intérieure. Sûr, il ne l'a pas trouvée tout de suite. Sûr, il s'est arrêté sous un autre réverbère pour se reposer un peu dans un nouveau rond de lumière avant de replonger dans le noir. Mais tout aussi sûr, le jour a fini par se lever et noyer dans une seule et vraie lumière la nuit et les lumières artificielles.
J'aime le fado (de fatum, destin auquel tu peux pas échapper, c'est comme ça, c'est Dieu qui l'a voulu). Parce que les chanteuses y vont à fond. Si elles ont mal (et elles ont mal tout le temps), elles saignent du coeur, des yeux, du nez. Si elles ont la saudade, c'est pas juste un petit bout, non, c'est toute celle qui est en stock dans l'univers ; si leur coeur galope, il va tellement vite qu'elles peuvent pas le rattraper, alors elles restent derrière et comme elles savent pas quoi faire, elles chantent. Et pudiques avec ça. Elles crient que c'est leur secret à elles et que même aux murs elles n'avoueront pas leur dévastation, que personne, jamais, ne saura que c'est Joao qu'elles aiment. Et si Joao dit : " si si, je t'assure, j'ai compris, chuis opé. " elles souffrent encore plus dans d'éblouissantes métaphores avec les yeux fermés et les pieds nus. Moi j'aime ça. C'est pas des pets de mite honteux, leurs émotions. C'est une bannière déchirée qui flotte sur un navire portugais. C'est Fernando Pessoa qui dit : " Vivre, c'est pas nécessaire. Naviguer, oui. " J'ai jamais vraiment compris ce que ça voulait dire, mais avouez que ça a de la gueule. Allez, bonne nuit.
Brigitte Sammut (mardi, 16 janvier 2024 19:06)
Mais quel plaisir de découvrir vos textes ! Un vrai régal !
Je me réjouie à l'avance de pouvoir assister à votre spectacle et de participer au stage.
A bientôt.
Vandamme jean Paul (dimanche, 20 septembre 2020 10:12)
Bravo Myriam pour cette élévation pour la fesse entre autre. J'aime beaucoup ce que vous écrivez. Nous nous régalons de lire les histoires de votre livre.
Merci beaucoup pour votre partage.
Jean Paul Vandamme
Marie Laurence Pascal (vendredi, 04 septembre 2020 16:43)
Je suis tordue de rire en lisant celle-la �bravo Myriam , je vais faire plusieurs cadeaux de Noël avec ton livre��continue! Merci et belle suite
Je t’embrasse